Gabriel Garcia Marquez, coll. Folio, 480 pages, 8,20 € (1re édition 1967, Buenos Aires, Editorial Sudamericana)
Comment oser écrire un seul mot sur un chef-d’œuvre, connu et reconnu de tous, le plus célèbre peut-être de Gabriel Garcia Marquez, prix Nobel de littérature ? Je vais me lancer quand même… Loin de moi l’idée de faire la plus petite analyse littéraire, ou tentative d’explication (je n’ai rien lu d’autre que le livre lui-même !), mais juste peut-être, quelques lignes pour donner envie à ceux qui connaissent de le reprendre, ou à ceux qui n’ont pas encore osé de se lancer (les vacances de printemps arrivent, l’époque est idéale, avec du temps, c’est mieux…).
Ce livre raconte, sous forme d’épopée, l’histoire de la famille Buendia, à compter de José Arcadio et Ursula, qui fondent le village imaginaire de Macondo, et elle s’étale sur six générations.
Est-ce la durée extrêmement longue sur laquelle se déroule l’histoire ? Ou le foisonnement (des mots, des images, des personnages) ? Je ne saurais dire mais en tous cas, ce livre faisait partie des quelques-uns que j’ai commencé au moins deux ou trois fois en m’arrêtant toujours avant la première centaine de pages, vaincue ; peut-être parce que trop appliquée, voulant trop bien faire, je cherchais à tout comprendre ? Alors premier conseil : ne pas tenter de dresser un arbre généalogique et une chronologie des événements ! Peine perdue… Mieux vaut se laisser bercer par le reste.
Et le reste c’est :
Une histoire qui progresse par cercles concentriques, comme une spirale qui se refermerait sur elle-même, anecdote par anecdote, chaque personnage apportant sa petite pierre à l’ensemble, augmentant et améliorant notre perception du tout. Et en finissant la dernière page, on a envie de tout recommencer…
Une façon de raconter dans les moindres détails qui, pour peu qu’on se laisse emporter par les mots, font dresser devant nous, comme si l’on était dans un film, l’excentricité et en même temps l’humanité, de la ville de Macondo et de ses habitants.
Le choix même des mots, des images, qui emplissent de poésie et nous transportent. Un exemple parmi cent autres, Ursula qui décrit (l’un des) José Arcadio (car il y en a foultitude dans le livre ! Les hommes portant tous deux sortes de prénoms, José Arcadio et Aureliano, avec quelques variantes), comme étant « pluvieusement triste, beaucoup plus vieux que quand il mourut ». « Pluvieusement triste »… On voit précisément à quoi le personnage peut ressembler, non ?
La fantaisie. La fantaisie des gitans, qui apportent leurs inventions réelles ou chimériques, lingots aimantés, loupe ou pierre philosophale. La fantaisie des personnages qui tous ont des traits de caractère loufoques, comme par exemple cette Remedios-la-belle, la plus belle femme qui eût jamais existé, à tel point qu’on la cachait pour qu’elle ne fît pas perdre la tête aux hommes (en vain bien sûr…), et qui finit sa vie de bien étrange manière, entre sainte et démone. Ou comme le colonel Aureliano Buendia, meneur de trente-deux guerres sans jamais en gagner une seule, qui occupe l’entièreté de ses journées à fabriquer de petits poissons en or ; qu’il vend, en échange de pièces d’or ; or qu’il fond, pour le transformer en poissons. Ou encore, la pluie qui dure quatre ans, onze mois et deux jours, poussant hommes et femmes dans leurs retranchements, abîmant tout, et cessant aussi brusquement qu’elle était venue.
Le temps bien sûr ! Ce temps infini qui joue des tours aux hommes, transformant le monde en un éternel recommencement, une spirale, « comme si le monde faisait des tours sur lui-même », s’exclame Ursula. Qu’il est dur de mourir dans ces conditions, pour certains des personnages, qui ne parviennent même plus eux-mêmes à connaître leur âge, 120, 145 ? Qui sait, et quelle importance… Et corollaire du temps, la solitude, où tombent tous les personnages quels qu’ils soient, quand bien même ils seraient très entourés ; ils sont tous seuls… (annoncé par le titre, « Cent ans de solitude », référence à une prophétie du gitan Melquiades, qui anticipe ainsi le sort réservé aux membres de la famille Buendia)
L’amour et la mort ! L’amour évidemment, des femmes et des hommes entre eux, parfois pur, parfois incestueux, souvent violent et passionnel, jamais ennuyeux. Pour moi, parmi les plus belles pages du livre sont celles qui racontent des histoires d’amour et de mort. Un exemple parmi cent autres, la passion de Meme et Maurizio Babilonia, avec une histoire de papillons jaunes d’une poésie totale… (« Meme sentit le poids de sa main sur son genou et sut qu’à cet instant ils venaient de passer ensemble de l’autre côté des désemparés. (…) Elle devint folle de lui. Elle perdit le sommeil et l’appétit et s’enfonça si profondément dans la solitude que son père même devint pour elle une gêne. »)
L’amour, la vie, la mort. La fantaisie. Tout est là non ? Comme un condensé de l’espèce humaine. Un livre pour tout comprendre.
Alors ce livre il est pour qui ? Il est pour tous les amoureux de littérature latino-américaine, qui retrouveront les mythes, la magie, la fantaisie, l’amour, inhérents à ce continent (et par conséquent, dans la série « je lis ce que je voyage », il est pour tous ceux qui y sont de passage…). Il est pour ceux qui aiment les mythes, ceux qui racontent la vie de façon à la fois détournée et juste. Il est pour ceux qui aiment rêver, se laisser transporter par une histoire qui ne s’accroche pas forcément à la réalité. Il est pour ceux qui aiment les histoires d’amour, les belles, les torrides, les violentes. Il est donc pour les rêveurs-amoureux-voyageurs… Pour eux tous : à conseiller sans aucune modération
Marie-Eve