Les mots

Jean-Paul Sartre, Folio, 224 pages, 7,40€

Dans Les mots, Sartre se tourne vers son enfance et se remet dans la peau du jeune garçon qu’il était, celui qui découvre à l’âge de cinq ans le monde des livres, et qui, seul, apprend à lire. Puis ce même garçon, déboussolé par le sens de la vie, qui quelques années plus tard comprend que sa vocation est d’écrire.

A travers cette autobiographie, qui s’étend sur une brève période, son enfance et le début de son adolescence, les prémices des questions existentielles que se posera Sartre sont déjà perceptibles. Dès sept ans, ce jeune enfant cherche à trouver une raison de vivre, une justification à son passage sur terre. Il a besoin d’extirper cette culpabilité qui pèse sur lui : de vivre sans rien apporter au monde, sans laisser de traces. Sans honte, Sartre livre au lecteur les pensées orgueilleuses d’un enfant rêvant d’être un héros, comme celui des livres qui l’ont bercé. Son goût des histoires, des aventures le pousse, tout jeune, à écrire. La frénésie le dévore, une multitude de scènes naissent sous sa plume, avec des preux chevaliers et des princesses enlevées. En effet il cherche à justifier sa présence sur terre par l’écriture. C’est l’image du voyageur sans billet qui se fait contrôler. Il est dans le train, mais en toute illégalité, il n’a pas sa place. Et puis il développe ce sentiment si humain de vouloir être indispensable. Que ce soit dans la vie quotidienne, le besoin que les autres pensent « Tiens, il manque Sartre » ou dans un futur imaginé, que ses actions soient utiles, qu’elles aient une portée, la plus importante possible. Il rêve alors d’une forme d’immortalité qu’apporterait le travail de l’écrivain, lorsque des siècles plus tard les futures générations continueraient de lire et d’admirer ses livres. Toutes ces pensées de l’enfant peuvent sembler, au premier abord, bien prétentieuses au lecteur mais elles apparaissent très vite comme touchantes et le Sartre quinquagénaire porte un regard amusé et détaché sur l’enfant qu’il était. Et puis il met des mots sur des sentiments, des désirs ambitieux nés d’une angoisse paralysante, et rend naturel cette envie de trouver la vocation qui permettrait à chacun de se sentir vivant et indispensable. Avant qu’il découvre l’écriture « C’était [s]on droit de vivre qu’[il] remettai[t] en question », puis il admet qu’il s’est livré à « l’entreprise folle d’écrire pour [s]e faire pardonner [s]on existence ».

Il aborde également la question du rôle, joué ardemment dans le but suprême de plaire, que ce soit au grand-père admiré comme à l’inconnu rencontré le temps d’un instant. Mais ce rôle le perd et il devient faux sous des airs d’enfant mature et sage, pourtant adoré et admiré de tous. Ecrire lui permettra alors de sortir de ce cercle dévastateur de l’hypocrisie. Il garde ses écrits pour lui, personne ne s’y intéresse, et il offre alors au papier seulement ces scènes jouées dans son esprit. « Eussé-je été lu je tentais de plaire, je redevenais merveilleux. Clandestin, je fus vrai. »

Alors ce livre il est pour qui ? Il est pour les passionnés de livres et les passionnés d’écriture, mais aussi pour tous ces voyageurs sans billets qui redoutent le contrôleur et ne savent pas pourquoi ils sont dans ce train.

Lou

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