Léa Murawiec, 2024, août 2021, 25€
Quelle ironie d’écrire un billet sur cette BD, qui dénonce la course à l’existence sur les réseaux sociaux, sur un blog ! Ce roman graphique surprenant, aux dessins géométriques et aux couleurs tranchées interroge et glace.
Dans le monde étrange où vit Manel Naher on peut gagner l’immortalité quand on envahit la pensée des autres. Quand on a un bon score de « présence ». Sinon on dépérit, jusqu’à la mort. Alors le jour où Manel Naher, déjà peu encline à faire connaître son nom pour survivre, découvre une homonyme, célèbrissime chanteuse à succès, rien ne va plus. Plus personne ne pense à elle.
Ce qu’elle aime, elle, ce n’est pas envahir l’espace public mais c’est se plonger dans les livres, espace de solitude par excellence. Doit-elle se trahir et se lancer dans une course effrénée à la reconnaissance pour ne pas dépérir ? Ou bien doit-elle partir, avec un de ses deux seuls amis, pour le « grand vide », Éden fantasmé, ailleurs où, peut-être, se faire oublier serait survivre, recommencer une vie normale ? Quant au choix que Manel Naher va faire et à ses conséquences je n’en dit pas plus, lisez le roman !
En filigrane on le voit, le parallèle avec les réseaux sociaux et la course aux « like » est à peine caché. Quelle « présence » faut-il rechercher exactement ? Chacun en tirera les conclusions qu’il souhaite ! Je ne sais pas pourquoi mais je n’ai pu m’empêcher de penser à Farenheit 451 en lisant ce livre, bien que le sujet soit dissemblable. Mais dans ces sociétés futuristes à chaque fois, ce sont la culture et la pensée autonome qui font peur ; la conformité dans la bêtise et l’ignorance qui est privilégiée (et donc dénoncée…).
Quant au trait, il est extrêmement géométrique, on est entre les Comics (la couverture fait un peu penser à Superman, non ?), et les peintures de Roy Lichtenstein. Le tout, quasi exclusivement dans des tons froids, bleu, noir, gris, rouge. De la brutalité, de la dureté, pas de rondeur ni de douceur. Glaçant, mais brillant…
Enfin, j’adore le titre ! Le « grand vide » c’est le Paradis perdu (fantasmé ?), qu’envisage de rejoindre Manel Nahel, mais on pourrait penser aussi que le terme reflète la vie de tous ces gens qui ne cherchent qu’à être célèbres dans le but unique d’atteindre à l’immortalité. Dites voir, il n’y en a pas certains qui disent que ce serait plutôt l’art qui aurait cette vertu ? Faites votre choix, rien ne va plus…
Alors ce livre il est pour qui ? Les fans de bande dessinée bien sûr, fans de romans d’anticipation, ceux qui veulent réfléchir à l’absurdité de notre société, en tous cas certains de ses travers lorsqu’ils sont poussés à l’extrême. Une lecture passionnante !
Marie-Ève