Jón Kalman Stefánsson, Grasset, janvier 2022, 602 pages, 25€, traduction de l’islandais d’Éric Boury
Voici un livre où l’amour et la lumière règnent. Un livre dans lequel on s’immerge et se prélasse, comme dans l’eau sulfureuse dans laquelle se baignent deux des personnages du roman, et dont on n’a plus envie de sortir.
Tout au nord de l’Islande, au fin fond d’un fjord qui a la « forme d’une étreinte » (on vous laisse savourer la métaphore…), un homme, amnésique, cherche ses souvenirs. Ce faisant c’est l’histoire d’une famille sur plusieurs générations qu’il raconte, histoires d’amour, d’abandon, de trahison, de lumière et de ténèbres. Un des plus beaux livres qu’il m’ait été donné de lire ces dernières années.
Laissez-vous tomber dans les premières pages de ce roman sans forcément chercher à tout comprendre. Laissez-vous glisser dans ces lignes emplies de poésie, où vous serez accueilli par ces mots :
« Ton absence n’est que ténèbres
L’éternel oubli guette ta mémoire
Où trouver dans ce cas une consolation ? »
La consolation peut se trouver ici justement. Femmes et hommes qui avez vécu, aimé, souffert, en lisant ces quelques 600 pages vous trouverez je vous le prédis une forme de consolation ! Car vous plongerez dans la vie et ses imperfections, ses hésitations, ses paradoxes (« Parce que le paradoxe a toujours été l’un des piliers de l’existence humaine » dit le narrateur, p. 408). Car oui on peut aimer et trahir, aimer et s’enfuir, aimer et abandonner. Vivre et mourir.
Les histoires d’Aldís et d’Haraldur, de Pétur et Gudridur, de Skúli et d’Hafrún, d’Eiríkur et Tove, et les autres, vous emporteront. Il y est question d’amour, de regard qui change un destin, de sourires qui font tomber (ou s’élever, c’est selon). Dans leurs vies, la passion règne. « Le soleil est un feu dans le ciel, parce que la vie doit se consumer, elle doit toujours se consumer sinon le monde refroidit ». Et c’est bien l’impression que l’on a en tournant ces pages, celle d’une fusion et d’une pulsion que le froid islandais ne parvient pas à atténuer, bien au contraire. Ici la neige est chaude et la lumière brûle, la nature imprègne chaque page (lisez ces descriptions de la lande, p. 360 « ces lieux où la terre se soulève comme dans l’intention de monter vers les cieux », et si l’envie ne vous prend pas de partir illico pour l’Islande je m’engage à manger chaque page du livre !)
Et puis il y la manière aussi. Car ce ne sont pas là que de belles histoires d’amour égrenées (ce qui serait déjà pas si mal…), de beaux paysages exotiques et glacés. Les mots pour le dire sont doux, tendres, emplis de poésie. D’ailleurs c’est bien simple, j’ai mis plus de temps que d’habitude à lire ce livre car je lisais chaque phrase deux fois : une fois pour le sens de l’histoire, une fois pour la musique. Car il est temps de le dire : la musique est ici essentielle, et pas seulement le rythme des phrases ! Les personnages du roman en jouent ; tout au long il est question de la « play-list de la Camarde » qu’un des protagonistes doit constituer, morceaux idéaux pour accompagner la mort, pour l’éloigner, qu’importe ? Et puis les paroles de chansons sont parsemées au fil des pages, ponctuant des événements, comme autant de pierres sur un chemin, ne donnant qu’une seule envie c’est d’emplir nos murs d’hiver de notes de musique ! Et pour finir ce paragraphe sur le style, n’oublions pas de saluer la traduction d’Éric Boury (évidemment je ne parle pas islandais ! Mais la version française est si belle que j’imagine tout le travail – et le talent – qu’il a fallu pour rendre compte de la musique de l’auteur).
Peut-être restera-t-il quelques questions en refermant ce livre, car toutes les réponses n’ont pas été apportées, mais qu’importe ? Comme le dit le pasteur chauffeur de bus, un des personnages (un ange ? le diable ?) qui s’invite tout au fil du roman « les explications ralentissent tout, elles alourdissent, elles embrouillent les choses et leur font perdre tout intérêt ».
Alors laissez-vous tomber, laissez-vous emporter, et profitez d’une des plus belles lectures qui soit… Car oui, en refermant ce livre on se dit qu’on tient un bel exemple d’ouvrage qui peut changer la vie.
Marie-Eve
C’est souvent le cas avec cet auteur, il faut se laisser porter par l’écriture car l’histoire n’est souvent qu’un prétexte à l’évocation de paysage, de climat, d’ambiance 🙂
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Il m’a beaucoup touchée moi aussi.
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Bonjour,
De mon coté, déception totale ! Je n’ai pas réussi à suivre cette histoire ou plutôt toutes ces petites histoires. Il y a trop d’éparpillement, j’ai l’impression de sauter du coq à l’âne sans arrêt, avec des personnages qui débarquent comme un cheveu sur la soupe. Je n’arrive pas à comprendre ce livre. J’ai abandonné avec regret à la page 166. L’écriture est pourtant très délicate et précise avec plein de poésie. Dommage qu’il y ait 600 pages !
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Ah dommage oui ! Trop d’attente peut-être ou alors vous en aviez trop entendu parler ?
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