Connemara

Nicolas Mathieu, Actes sud, janvier 2022, 396 p., 22€

Connemara est une histoire d’amour sur fond de roman social. Rien de nouveau me direz-vous dans le thème ? Oui mais. Oui mais il y a la manière, et là, Nicolas Mathieu est un véritable alchimiste, maître en l’art de changer le banal en sublime. Gros coup de cœur de cette rentrée d’hiver.

Hélène et Christophe, quadragénaires à la dérive et anciens camarades de collège se croisent par hasard après s’être perdus de vue pendant plusieurs dizaines d’années. Evidemment, plus rien n’est comme avant. A l’époque Christophe était une gloire locale de hockey sur glace, Hélène éperdument amoureuse de lui, tandis que lui ne la voyait même pas. 25 ans plus tard elle s’est hissée à force de travail dans la bourgeoisie locale, maison d’architecte, boulot dans une boîte de conseil, deux enfants, un mariage qui bat de l’aile. Lui est séparé de sa compagne, père d’une jeune garçon, il vit avec son père vieillissant et il est représentant de nourriture canine ; et le hockey semble loin. Rencontre improbable, chemins qui se sont séparés, nostalgie du passé, amour naissant.

Nicolas Mathieu alterne les points de vue, Hélène puis Christophe, pour raconter les chemins pris, leurs enfances, leurs adolescences, les points communs, le souvenir d’une jeunesse errante, les idéaux rêvés puis oubliés, l’âge adulte avec ses espoirs et ses désillusions. Tout est tendre, sensible, juste. On se demande où il va chercher les détails perdus, l’enfance et les années 80 reviennent comme une madeleine, tout le monde peut s’y retrouver. On l’a vécu ou on transpose sans difficulté. Soudain c’est le passé qui revient en bouffées.

Et puis il y a le sens de l’observation du monde qui nous entoure, notre époque vaine, le milieu du travail découpé au scalpel et décrit comme une guerre picrocholine, ses mesquineries, ses espoirs là aussi, ses ambitions, son ridicule. Les acronymes qui ne veulent rien dire, les petits chefs qui jouent les coqs, les bouffonneries pour se pousser du col, les illusions perdues (guettez la page 126 et sa description du monde du conseil et riez, pour ceux qui ont vécu d’un peu près ou se sont fait raconter la chose par d’autres, c’est d’une justesse infinie). C’est détaillé, c’est drôle, c’est fin…

Au-delà de l’amour, au-delà de la société qui nous entoure et son observation fine et ironique (ce qui n’exclut pas une certaine tendresse) le livre est une ode au temps qui passe et à la nostalgie. De par la construction du livre déjà, faite de spirales dont le passé éclaire le présent. De par les personnages aussi, la tendresse pour les parents vieillissants, les personnages centraux, Christophe et Hélène, pas très vieux mais plus tout jeunes, que le temps a marqués déjà, rattrapés par l’époque (que ce soit Christophe dans son équipe de hockey sur glace où il quitte rarement le banc des remplaçants, ou Hélène, dont la stagiaire, Lison, maîtrise mieux qu’elle les codes actuels – ceux de l’amour, ceux de la vie en société, ceux des réseaux sociaux…) Les personnages secondaires ne sont pas en reste, touchants dans leurs imperfections, leur humanité. Nicolas Mathieu aime ses personnages et ça se voit, son écriture est empreinte de tendresse et d’empathie.

Quant au titre, et à la magnifique couverture du livre… On vous laisse découvrir par vous-même le lien avec le récit, mais un mot un seul : comme c’est bien choisi ! Temps qui passe, empathie, émotion, solitude et humanité : tout y est…

Nicolas Mathieu nous offre une tranche de vie empreinte de nostalgie, ni gaie, ni triste, la vie avec ses hauts et ses bas, ses bons moments et ses mauvais, ses coups durs et ses joies. Le tout dans une langue pleine de finesse, où le sens de la formule et les métaphores sont fulgurantes et savoureuses. Un gros coup de cœur !

Marie-Eve

2 commentaires sur “Connemara

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