Duchess

Chris Whitaker, traduit de l’anglais par Julie Sibony, Sonatine, mai 2022, 520 p., 23€

Il y a des livres que l’on apprécie pour le ton, le style. D’autres parce qu’ils nous apprennent quelque chose. D’autres encore parce que l’histoire nous est familière, que l’on aime à s’y retrouver. D’autres qui nous font rire. Et puis il y a ceux que l’on prend un jour comme ça, sur une pile très haute, ou au contraire un peu au milieu, parce que la couverture, parce que l’on se souvient en avoir entendu dire du bien, on pour une autre raison, on ne sait pas très bien. On ouvre, on lit deux trois pages le soir histoire de se dire qu’on commence un nouveau livre avant de se coucher. Et puis on est embarqué, l’heure passe, les pages se déroulent, les journées s’enchaînent avec la perspective heureuse de le retrouver. Ici pas de grande phrase, la construction est classique, pas de prouesse stylistique. Mais tous les ingrédients d’un récit romanesque : des personnages attachants et tout en nuances, des obstacles, des rebondissements, des mystères qui se lèvent et se dévoilent. Vous êtes prêts ? Alors écoutez…

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Ton absence n’est que ténèbres

Jón Kalman Stefánsson, Grasset, janvier 2022, 602 pages, 25€, traduction de l’islandais d’Éric Boury

Voici un livre où l’amour et la lumière règnent. Un livre dans lequel on s’immerge et se prélasse, comme dans l’eau sulfureuse dans laquelle se baignent deux des personnages du roman, et dont on n’a plus envie de sortir.

Tout au nord de l’Islande, au fin fond d’un fjord qui a la « forme d’une étreinte » (on vous laisse savourer la métaphore…), un homme, amnésique, cherche ses souvenirs. Ce faisant c’est l’histoire d’une famille sur plusieurs générations qu’il raconte, histoires d’amour, d’abandon, de trahison, de lumière et de ténèbres. Un des plus beaux livres qu’il m’ait été donné de lire ces dernières années.

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Les filles d’Egalie

Gerd Brantenberg, Zulma, janvier 2022, 376 p., 22€, traduction du norvégien de Jean-Baptiste Coursaud

En Egalie ce sont les filles qui dirigent le monde, qui ont les postes à responsabilités, qui sont cheffes de famille. Ce sont les hommes qui cachent leurs attributs sexuels jugés honteux, eux qui élèvent les enfants et restent à la maison, eux qui font en sorte que tout tourne au quotidien pour soulager leur épouse chérie du moindre tracas domestique. Je vois déjà les hommes fuir à la lecture de ces quelques lignes. Ce serait fort dommage car le livre n’est pas seulement féministe, il est drôle et pose de sacrées questions…

On suit la famille de Rut Brame, qui occupe un poste à responsabilités, directriçoire de la Société coopérative d’Etat, son mari Kristoffer, potelé à souhait (c’est ainsi que les hommes sont aimés des femmes) malgré une calvitie naissante qu’il s’efforce de cacher par tous moyens (un homme sans cheveux, beurk ! ils doivent être chevelus ET épilés à la peau douce), et leurs enfants, leur fils aîné Petronius notamment qui est un des personnages centraux du roman. Petronius rêve de prendre la mer et d’être marine-pêcheuse, il frémit d’émotion à l’approche du bal des débutants, il rêve du grand amour avec une femme qui s’occuperait de lui. Jusqu’à la rébellion et la naissance d’un mouvement masculiniste qui s’efforce de rétablir l’égalité. Le scénario est peut-être sans surprise, mais les conséquences qu’il induit, elles, le sont. Le « renversement » des valeurs portées par la société ainsi provoqué, qu’il s’agisse des relations sexuelles, de l’image portée par le sexe, des rôles dans la famille et la société, tout est sujet à drôlerie et réflexion. Délectez-vous avec la description de la procréation (p. 142), de la naissance au sein du Palais des naissances (p. 188), de la révolte des hommes qui brûlent leurs « soutiv » (le soutien-verge est un attribut essentiel de l’homme qui entre dans l’âge adulte !) des réflexions des protagonistes sur la langue où le féminin l’emporte systématiquement sur le masculin (p. 212).

Car il faut souligner ce parti-pris fort de l’autrice de tout féminiser, et par conséquent, on l’imagine, la prouesse qu’il a fallu au traducteur pour en rendre toute la finesse. A sa lecture, on voit comment le féminin dans le langage quotidien (« fumain » au lieu « d’humain » pour tout ce qui touche à l’homme et à la femme dans leur ensemble, les tournures impersonnelles systématiquement féminines, le féminin qui l’emporte bien sûr sur le masculin au pluriel, etc, etc) fournit des biais évidents dans la perception. Vous verrez, on s’habitue très bien au bout de quelques pages au « elle y a… » ! (Et saluons au passage le travail remarquable du traducteur ! Un orfèvre, sans conteste…)

Et puis il y a bien sûr en filigrane toutes les théories féministes qui sont « masculinisées » (la stupidité de l’explication biologique en est un exemple flagrant), et cette mise en abîme est vertigineuse. Même Hegel et sa dialectique du maître et de l’esclave est appelé à la rescousse, et le propos est lumineux.

On se demande bien pourquoi ce livre, paru en 1977 en Norvège, rapidement traduit et sorti en Suède, en Allemagne, aux Etats-Unis… a mis temps de tant pour paraître en France. Merci aux éditions Zulma, une fois de plus, de jouer à plein leur rôle d’éditeur et de passeur de savoir.

Vous l’avez compris c’est un gros coup de cœur, et un livre qui doit être lu non seulement des femmes mais des hommes, sans aucun distinction de sexe.

Marie-Eve

Rendez-vous à Positano

Goliarda Sapienza, Le Tripode, 2018, 220 pages, 11€

LE livre à glisser dans ses bagages pour un voyage en Italie, entre Naples et Amalfi, à Positano ou Praiano. Dans cette magnifique histoire d’amitié, on retrouve avec délice l’autrice de « L’art de la joie » dans ce qu’elle a d’intime, de sensible, de tendre, des sentiments à fleur de peau.

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Jeune femme au luth

Katharine Weber, les éditions du sonneur, avril 2021, 190 pages, 17€ (traduction Moca Durieux)

Patricia Dolan vit à New York. Passionnée d’histoire de l’art, de la peinture hollandaise en particulier, et tout spécialement de Vermeer, le roman démarre alors qu’elle se retrouve isolée dans un cottage irlandais perdu. Pourquoi ? Comment ? Pour le savoir, il faut suivre Katharine Weber qui nous conduit d’une main de maître dans les méandres de l’histoire de l’Irlande, et de l’histoire de l’art.

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Normal People

Sally Rooney, éditions de l’Olivier, mars 2021, 320 p., 22€

Qu’est-ce que c’est, être « normal » quand on a dix-sept ans ? Qu’on va au lycée, qu’on n’a pas d’amis, qu’on est suprêmement intelligent, qu’on n’est pas intégré ? Est-ce une situation qui dure, qui s’installe ? Après le magnifique « Conversations entre amis », Sally Rooney nous offre dans ce deuxième livre une réponse tout en finesse et délicatesse.

Marianne a dix-sept ans justement, et vit dans une petite ville d’Irlande, et le moins qu’on puisse dire c’est qu’elle n’est pas vraiment bien dans sa peau, et se pose quelques questions. Au lycée, elle est amenée à croiser Connell. Tout le contraire d’elle ! Il est normal lui, ou en tous cas il en a l’air ! Suprêmement intelligent également mais plein de charme, intégré, « populaire », plein d’amis, de petites amies, amies qui la plupart du temps l’indiffère. C’est normal ça ?

Évidemment les deux se connaissent (la mère de l’un est employée chez la mère de l’autre). Évidemment il va se passer quelque chose entre eux.

Et puis ils vont grandir, changer. Les scènes se succèdent à quelques semaines, où mois d’intervalle, créant ces creux que l’on comble avec l’imagination.

Sally Rooney nous raconte avec la même sensibilité dont elle avait fait preuve dans « Conversation entre amis », les affres de l’adolescence et de l’entrée dans l’âge adulte. Le regard sévère que l’on peut porter sur soi. L’importance des autres. Les occasions ratées. L’indicible qui prend une place démesurée. La vie quoi !

Alors ce livre il est pour qui ? Ce livre est un bijou de sensibilité, qui devrait intéresser tout le monde, y compris les jeunes, à partir de 16 ans sans problème. Ça devrait les rassurer ! À lire sans tarder !

Marie-Eve

Betty

Tiffany Mc Daniel, Gallmeister, août 2020, 720 p., 27,50€

Voilà un livre sur lequel j’aurais : ou envie d’écrire et parler pendant des heures ; ou envie de me taire en disant juste « lisez-le, en confiance, sans rien en savoir, sans rien en attendre, lisez et vous serez transporté, il n’y a pas de mots assez forts pour en parler ». D’ailleurs, vous pouvez arrêter la lecture de ce billet juste après avoir lu cette phrase, et attendre demain l’ouverture des librairies pour aller vous procurer ce livre. Ou le lire  jusqu’au bout, et j’espère réussir à vous donner la même envie : c’est, pour moi, un des meilleurs livres de cette rentrée littéraire !

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La vie mensongère des adultes

Elena Ferrante, Gallimard, coll. Du monde entier, 404 pages, 22€

Fan absolue, comme beaucoup, de L’amie prodigieuse, j’ai ouvert le dernier roman d’Elena Ferrante avec une énorme envie et une légère appréhension. Celui-ci sera-t-il aussi bien ? Sans plus tarder et n’en déplaise aux grincheux, aux boudeurs de plaisir, aux nostalgiques, la réponse est OUI ! et voici pourquoi.

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Le sang ne suffit pas

Alex Taylor, Gallmeister, mai 2020, 316 pages, 23€ 

Nous sommes chez nous, confinées chaudement, et en fait non. Lire ces pages du roman d’Alex Taylor (à paraître le 27 mai), c’est se retrouver plongés brutalement dans un autre univers, dans un paysage de neige, de montagne, où une ourse rôde, où la mort règne, où le seul objectif qui vaille est de survivre. Lire la suite « Le sang ne suffit pas »