Entre fauves

Colin Niel, Rouergue noir, septembre 2020, 343 p., 21€

Ennemis de la chasse, ou simplement indifférents, oubliez la couverture, oubliez le titre, oubliez surtout vos préjugés… Oui, la chasse est la toile de fond de ce livre, mais l’auteur nous emmène bien au-delà.

Deux récits principaux, et quelques autres secondaires, s’entrecroisent ici : celui de Martin, travaillant dans le parc national des Pyrénées, fervent défenseur de la nature et surtout « anti-chasse ». Il est à la recherche active de la personne posant, triomphante, à côté de la dépouille d’un lion. Celui d’Apolline, jeune chasseuse, partie assouvir sa passion dans le désert du Kaokoland en Namibie.

Je ne résiste pas au plaisir de vous livrer les premières lignes, écrites du point de vue de Charles, dont on laissera au lecteur ou à la lectrice le plaisir de découvrir l’identité, qui donne le ton et montre le souffle :

« L’heure était venue de faire face aux hommes, leurs silhouettes de bipèdes dressées dans le crépuscule comme des arbres en mouvement, si proches de lui à présent, à peine trois foulées pour les atteindre, et leur odeur sans pareille, sueur amère et terre lointaine, et leurs cris indéchiffrables, et leurs peaux couvertes d’autres peaux qui n’étaient pas les leurs, jamais il ne les avait tant approchés, il avait fallu qu’ils l’y poussent, un jour entier à les sentir à ses trousses, un jour entier à sillonner le bush, à ramper sous les épines des acacias, à raser les murs de pierre enflammés de soleil, à creuser et recreuser cent fois sa trace, de broussaille en broussaille, les pas dans les mêmes empreintes, les détours innombrables entre les troncs, n’importe quoi pour les faire lâcher prise, un jour entier à se sentir gibier et non plus prédateur, la patience mise à mal, agacée, nerfs à vif, un jour entier auquel il venait de mettre fin, surtout ne pas leur laisser cette victoire-là, pas lui, pas ici, pas dans ce désert qu’il arpentait depuis toujours et dont il savait tout (…) ».

N’est-ce pas que cela donne envie d’aller plus loin ?

La structure du récit est déroutante, alternant entre deux périodes temporelles, et passées les premières pages, quand on a compris qu’il fallait juste se laisser porter par le rythme du récit, tout glisse, fluide. Car ici, découpage et rythme sont essentiels. Envoûtants. Les voix se détachent bien les unes des autres, celles de Martin, d’Apolline, de Charles ou de Kindjima. Mais toujours avec ce ton posé alternant avec un réel souffle épique, avec une précision infinie du vocabulaire choisi. La nature est partout, subtile et omniprésente, que ce soit les paysages enneigés des Pyrénées ou la sécheresse du bush africain. On a chaud et on a froid, en alternance.

En-dehors de ses talents de conteur, Colin Niel a la plume aiguisée et l’art de semer le trouble dans l’esprit de son lecteur. Le traqueur devient traqué, les rôles s’inversent, les chasses se répondent, les correspondances se font, entre Pyrénées et Namibie. Chasse ou anti-chasse, bien malin qui pourrait, à la simple lecture de son livre, se faire une opinion, si tant est qu’elle n’existât pas auparavant. Seule le gris compte, et encore, de multiples nuances de gris faudrait-il plutôt dire. Même si au final, c’est bien la Nature avec un grand « N » qui sort gagnante de ces récits enchevêtrés.

Laissez-vous tenter par ce roman vraiment hors des sentiers battus, où traqueurs et traqués changent au gré des pages, dans des voltes incessantes, et où le suspense imprègne chaque page

Alors ce livre il est pour qui ? S’il y a parmi vous des amoureux de la chasse, foncez ! Si, comme moi, vous n’en faites pas partie, ne vous arrêtez surtout pas à des « a priori ». Ce récit est avant tout une ode à la nature, remarquablement écrit, avec un véritable art du suspense, qui fait qu’ici, la dénomination de « noir » appliqué au roman est plus qu’appropriée. Amoureux des grands espaces, des animaux, des arbres, de l’Afrique enchantée, mais aussi des intrigues et du suspense, ce livre est pour vous !

Marie-Ève

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